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Quoi de neuf dans la Silicon Valley ?

Pourquoi l’intelligence artificielle pousse-t-elle à des alliances atypiques surprenantes ?
par Georges Nahon

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L'arrivée de l’IA générative (GenIA) avec ChatGPT a surpris les grands acteurs de la Tech et a provoqué une course de vitesse pour prendre des positions solides avant la concurrence. L'enthousiasme autour de la GenIA s'est transformée en inquiétude chez les BigTech ("alerte rouge" chez Google) pourtant déjà bien engagées dans l'IA classique depuis plusieurs années mais pour des usages "internes" ou très spécifiques en entreprise et dans tous les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et dans le commerce électronique.
Comment aborder ce virage important dans l'IA dans un contexte où tout le monde veut participer (même les Etats) sans que les modèles d'affaires soient encore bien identifiés et face à la concurrence de startups très bien financées ?

La GenIA semble répondre au besoin latent d'une innovation en rupture dans la Silicon Valley

Depuis longtemps, n'y a pas eu de nouvelles innovations technologiques qui aient vraiment marché massivement. L'internet des objets, les véhicules autonomes, les métavers et le Web3, les crypto monnaies n'ont pas percé. Le quantique est toujours à l'horizon et il n'y a pas encore eu un chatGPT du quantique pour populariser l'usage de cette brillante technologie.
Les produits et services qui marchent sont anciens, comme le cloud qui remonte à 2006. Aussi, les BigTech espèrent que la GenIA leur permettra de rafraîchir leurs gammes de produits vieillissantes.
La question est de savoir si la GenIA est une amélioration incrémentale des technologies en place ou une véritable percée susceptible de changer les rapports de force entre les acteurs actuels et, entre eux et des nouveaux venus, plus agiles et plus inventifs ?

Le temps des alliances tous azimut

En très peu de temps, on a vu beaucoup de rapprochements entre entreprises. Ils surprennent par leur vitesse et leur coté atypique.
Un exemple: Anthropic, qui conçoit des grands modèles de langage (LLMs) tel que "Claude" avait reçu en mars dernier un investissement de 300 millions de dollars par Google pour une participation de 10%, a annoncé une grosse prise de participation par Amazon de 1,25 Mds $ pouvant aller jusqu’à 4 Mds $. En a suivi qu'Anthropic a indiqué être en discussion pour lever au moins 2 Mds de $ de plus probablement avec Google.
lAlors, voir Amazon et Google (concurrents dans le cloud) devenir actionnaires de la même société de GenIA est surprenant.

Encore plus étrange, l'investissement de 235 M$ par des sociétés concurrentes: Google, Amazon, Nvidia, Salesforce, AMD, Intel, IBM dans la société franco-américaine d'IA, Hugging Face. Clairement, personne ne veut rester sur la touche!
De son coté, Microsoft qui a investi de l'ordre de 13 milliards de dollars dans OpenAI a passé un accord avec Meta pour utiliser son nouveau LLM, Llama-2. Ce qui est une offre concurrente à celle développée en commun avec OpenAI ! Et qui plus est, Microsoft développerait son propre LLM probablement pour réduire sa dépendance à OpenAI (!) et espère qu'il sera moins cher et plus petit que celui dOpenAI donc beaucoup moins couteux à exploiter. De même, Amazon développe le sien, Titan.

Les alliances dans la course aux puces contre le leader Nvidia

Coté puces IA, Nvidia est le grand gagnant de la vague IA grâce à son avance établie depuis plusieurs années.
Les sociétés du silicium comme AMD, Broadcom et Intel tentent de rattraper leur retard et annoncent la sortie prochaine de puces IA compétitives ou des approches technologiques différentes visant à ne pas se confronter au seigneur des lieux. Et Qualcomm parie sur la décentralisation de l'IA dans les smartphones avec sa puce IA. Apple aussi travaillerait à son propre réseau neuronal et à sa puce IA.
Les plus gros consommateurs de ces puces IA sont les acteurs du cloud, et aussi META, Tesla.
Or Nvidia les concurrence en proposant son propre service cloud, DGX Cloud, grâce à un partenariat avec Google. Et se retrouve aussi ailleurs en concurrence avec eux car ils développent leur propres puces IA pour réduire leur dépendance vis à vis d'elle. Microsoft développerait sa propre puce IA. Idem chez Google, Amazon et Meta. Même OpenAI a récemment fait savoir qu'elle cherchait à développer la sienne probablement via une acquisition.
Meta semble préférer mettre gratuitement à la disposition des développeurs ses LLMs en espérant peut-être déconstruire ou marginaliser ainsi les autres alliances, n'étant pas elle-même un opérateur de cloud commercial donc n'ayant rien à perdre dans ce domaine.
Cette série d'alliances surprenantes et d'incursions audacieuses dans les secteurs d'activité des autres, tels que le cloud, les puces électroniques et les logiciels, découle du fait que chacun perçoit le domaine de la GenIA comme un territoire largement inexploité, sans leader établi, encore à ses débuts.

"Plutôt que de forger de solides alliances durables, tout le monde ne fait que se couvrir"

Une alliance pour inventer le successeur du smartphone?

Mais l'incertitude sur la nature et l'étendue des débouchés de la GenIA génère de nouvelles idées en rupture. Comme celle de créer un nouvel appareil (néo-smartphone IA?). Les conversations ont démarré entre le fondateur d'OpenAI, et l'ex chef designer d'Apple avec le soutien du milliardaire Masayoshi Son de SoftBank. Microsoft ne doit pas voir d'un très bon œil que le PDG de son grand allié et associé OpenAI travaille sur un projet parallèle dans lequel elle n'est pas invitée…
Mais dans ce domaine des gadgets numériques il y a eu plus d'échecs que de vraies réussites (on pense aux lunettes intelligentes de Google et autres gadgets). Il y a certes eu le succès commercial (mais échec business) d'Alexa/Echo d'Amazon et de son cousin Google assistant. Mais ces smart speakers n'ont pas révolutionné les services par exemple. Et l'arrivée de la "multi modalité" dans la GenIA (contrôle par la voix, l'image et le texte dans les chatbots de type ChatGPT constitue une concurrence sérieuse pour la première génération des Alexa, Siri etc.… sans avoir besoin de recourir à un appareil spécifique autre que le smartphone ou le PC.

Si les perspectives de business reflétaient l'exubérance ambiante pourquoi voit-on toutes ces alliances atypiques se réaliser?

L'avenir semble en effet prometteur pour ces business de la GenIA.
Comme le marché se dirige actuellement vers des applications professionnelles, on voit fleurir des solutions à priori contre-intuitives de "petits" LLMs contre les gros systèmes comme chatGPT. Les petits LLMs sont moins chers à développer et à exploiter en utilisant les données de l'entreprise ou du secteur plutôt que de tout l'internet comme Chat GPT. Ils sont plus adaptables aux besoins de chaque entreprise. En réduisant les risques d'inexactitude ou de biais dans les réponses parfois farfelues des LLMs génériques et en empêchant la fuite de données confidentielles vers les LLMs publics. Dans le monde des directions informatiques, ils permettent aussi d'accélérer le développement et les tests de logiciels et de bénéficier d'idées nouvelles inattendues. Et, peut-être plus important encore, de concevoir de nouveaux services et produits non planifiés.

Il faut aussi créer des nouveaux clouds puissants spécifiques pour l'IA. C’est-à-dire l'infrastructure de l'IA. Ce que font les BigTech. Mais ce qui préoccupe c'est que les nouvelles sociétés dIA et de GenIA utilisent une très grande partie des capitaux levés auprès des sociétés de capital-risque (VCs) pour acheter des puces IA dont le coût est substantiel. Et on se demande quels sont les business viables de ces sociétés dont les startups qui achètent toutes ces puces IA de Nvidia.
Et qui sont "les clients des clients" des puces IA? Quelles applications ou services les utilisateurs consommeront ils pour générer suffisamment de revenus? On n'en est pas encore à parler de marge, mais plutôt de croissance du CA pour impressionner les VCs.
Grâce au logiciel libre qui banalise les technologies de GenIA, le modèle économique des opérateurs et développeurs des LLMs se dirige vers le conseil et le développement à façon. C'est un marché "naturel" pour l'intelligence "artificielle". Au final, il s'agit d'une extension des rôles existants des ESNs mais avec de nouvelles compétences et de nombreux nouveaux acteurs issus des startups ce qui va dynamiser l'adoption de la GenIA dans les entreprises.

Que nous signalent ces alliances dans la GenIA?

Les alliances sont au final un signe de la vitalité d'un secteur en ébullition mais encore très jeune.
La course aux alliances atypiques dans le domaine de la GenIA est sans équivalent dans le reste de l'industrie technologique. De cette agitation naîtront des modèles économiques solides, à l'instar du cloud, qui à ses débuts, a suscité des sérieux doutes quant à sa viabilité.
Ici, le futur du passé a de beaux jours devant lui. Et les jeux ne sont pas faits.

Georges Nahon
Le 7 octobre 2023