Quoi de neuf dans la Silicon Valley ?
Pourquoi l'Europe ne rattrapera pas la Silicon Valley dans l'IA. Mais s'en sortira à sa façon.par Georges Nahon

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Dans l’IA, la place de l’Europe face aux États-Unis et à la Chine risque de rester longtemps à l’arrière-ban.
Le partage actuel du monde de l’IA n’a pas été décrété par un traité mondial.
Mais le marché mondial de l'IA se structure de telle façon que les Etats-Unis dominent massivement devant la Chine et l'Europe est loin derrière les deux leaders.
Ce qui se passe dans le développement de l'IA est analogue au développement du numérique post-Internet : les Etats Unis dominent et ne cessent d'augmenter leur avance. Dans l'IA, l'Europe s'adapte et consomme majoritairement les produits et services numériques américains et un peu chinois.
La question est de savoir si cela peut changer, mieux et plus vite que cela a été le cas dans d'autres domaines du numériques comme la micro-informatique, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, le cloud, les circuits intégrés.
C'est peut-être la mauvaise question.
Et peut-être que comme pour l'informatique, l'Europe va développer son modèle avec un écosystème robuste d'ESN -autrefois les SSII - qui créent de la valeur au-dessus et à côté des technologies numériques américaines. L'exception est SAP, seule BigTech native Européenne qui est aussi un géant américain.
En Europe, les régulations et les interventions publiques, si elles traduisent une volonté de responsabilité et de souveraineté, risquent aussi de freiner l’innovation. Tout l’enjeu est de trouver un équilibre entre cadre protecteur et capacité à concurrencer à armes égales sur la scène mondiale. Et surtout de ne pas règlementer le développement des produits mais l'utilisation des produits eux-mêmes.
La conjoncture protectionniste aux États-Unis et en Chine, qui favorise leurs écosystèmes nationaux, limite l’expression d’une véritable concurrence mondiale par le marché.
Il est possible que les entreprises d'IA en Europe trouvent leurs propres modèles de développement sans interférence des pouvoirs publiques et des réglementations.
C'est ainsi par exemple qu'en septembre 2025, la startup française Mistral AI a surpris les marchés en atteignant une valorisation record de 11,7 milliards d’euros (soit environ 14 milliards de dollars) suite à un investissement majeur mené par ASML, leader mondial néerlandais qui conçoit et fabrique des machines sophistiquées pour la fabrication des puces. Cette levée de fonds de 1,7 milliard d’euros fait de Mistral l’entreprise d’intelligence artificielle indépendante la plus valorisée en Europe, avec ASML qui détient désormais 11 % du capital. Ses actionnaires sont notamment Bpifrance, Andreessen Horowitz, General Catalyst, Index Ventres, Lightspeed ventures NVIDIA, CMA CGM (la compagnie maritime française), Salesforce, Databricks, BNP Paribas, Samsung, NJJ Capital, de Xavier Niel… On note que la présence américaine à son tour de table est importante.
Les autres acteurs reconnus en Europe, tels que l’allemand Aleph Alpha ou le britannique DeepMind (filiale de Google), restent très loin de ce niveau de valorisation, tout comme DeepL, Synthesia ou Lovable qui oscillent autour d’1 à 2 milliards de dollars et ne rivalisent pas avec Mistral.
La structure de l'actionnariat de Mistral est originale de même que les raisons premières de son alliance capitalistique et commerciale avec ASML qui est une société cotée en bourse avec un fort actionnariat américain contrairement à Mistral qui n'est pas cotée pour le moment. En effet l'UE et les pays concernés, France et Pays -Bas, n'apparaissent pas du tout au premier plan même si Bpifrance est un actionnaire minoritaire de Mistral dès 2023 et représente l'Etat français. Dans un entretien avec le Financial Times, Arthur Mensch, le directeur général de Mistral, a déclaré que cette affaire s'est conclue pour des raisons à la fois économiques et stratégiques : "il est important pour les entreprises européennes de ne pas être trop dépendantes de la technologie américaine". Cependant, les PDG des deux entreprises ont minimisé l'idée que ce rapprochement ait été motivé par le désir de renforcer la souveraineté technologique européenne. Le PDG d'ASML Christophe Fouquet, lui aussi ingénieur comme Arthur Mensch, a insisté sur le fait qu'il n'avait pas "choisi Mistral simplement parce qu'ils étaient européens". La souveraineté était un "avantage supplémentaire"..."Nous ne prenons pas de décisions de partenariat en fonction du lieu ou de la géopolitique", et la décision d'investir une somme aussi importante dans Mistral, pour en devenir le plus grand actionnaire, reflétait une conviction que l'IA sera une "technologie stratégique".
Et ils augmentent notamment pour la création de datacenters géants. La scène de l’IA aux États-Unis surpasse largement celle de l’Europe en termes de valorisation, de volume d’investissement et de nombre d’acteurs majeurs.
En Chine les ordres de grandeur sont aussi très importants et dépassent largement les équivalents en Europe. Le modèle est différent avec un dirigisme économique total et un protectionnisme paralysant pour les étrangers.
En 2025, les investissements américains dans l'IA dépassent de presque dix fois ceux de l’UE. Outre-Atlantique, les levées de fonds de plusieurs milliards y sont routinières, et en Europe exceptionnelles.
Il y a une asymétrie des financements : outre-Atlantique, les tours de table pharaoniques de plusieurs milliards de dollars sont devenus monnaie courante - à l'image des levées spectaculaires d'OpenAI ou d'Anthropic - tandis qu'en Europe, des opérations de telles envergures n'existent pas (encore ?) ou demeurent l'exception, malgré les performances notables d'acteurs comme Mistral AI qui parviennent à attirer des capitaux conséquents mais surtout américains. Dans le cas spécifique de l'IA, la croissance immense des investissements pourrait aussi ralentir ou s'arrêter. Des pessimistes lancent des alertes sur les risques d'éclatement de ce qu'ils considèrent une bulle spéculative de l'IA comparable à celle des dotcoms au début de l'internet. Mais contrairement aux dotcoms il y a un très petit nombre d'introductions en bourse de sociétés "IA natives" ce qui réduit ce risque de bulle aux investisseurs comme le capital-risque mais concerne moins les investisseurs privés et les spéculateurs individuels.
OpenAI (créateur de ChatGPT) est valorisée à plus de 500 milliards de dollars en octobre 2025, soit près de trente-cinq fois la valorisation de Mistral AI.
Environ sept startups IA américaines dépassent la valorisation de 10 milliards de dollars (md$) en 2025 dont OpenAI.
Anthropic a atteint une valorisation d'environ 183 md$ et Databricks est à $ 100 mds$: elles évoluent dans des fourchettes similaires, toutes supérieures à la barre des 10 milliards. Cohere (société canadienne) est valorisée à 6.8 md$. Il y a aussi Scale AI (13,8 md$), CoreWeave (19 md$), xAI d'Elon Musk (50 md$) et Waymo de Google 45 md$.
En 2025, les États-Unis comptent 30 à 40 startups d’IA valorisées au-delà du milliard de dollars, tandis qu’en Europe, seule Mistral et, loin derrière, quelques autres licornes une douzaine plafonnent à 1 ou 2 milliards. Aux Etats Unis il y a des noms moins connus dans l'IA mais dont le poids est significatif : Anduril Industries, Glean, Anysphere, Celestial AI, Shield AI, Harvey, Runway, Abridge, EliseAI, Ambience Healthcare.
De nombreux autres acteurs comme Google DeepMind (intégrée à Alphabet), Microsoft, Meta AI ou Amazon sont des de vrais géants du numérique capitalisés à des niveaux bien au-delà du secteur startup traditionnel mais ne sont pas des sociétés indépendantes dites "IA natives" : elles ont d'autres activités numériques.
A titre de comparaison, SAP la seule BigTech Européenne du numérique mais pas dans l'IA a une capitalisation approximativement 21 fois celle de Mistral AI. Pour l'Europe, SAP est une exception historique : c’est le seul vrai géant européen du logiciel qui ait pu bâtir sa force d’abord en Europe avant de réussir aux USA. SAP est bien l’exemple d’un acteur européen (allemand), le seul, qui ait réussi d’abord en Europe avant de s’imposer aux États-Unis sans soutien particulier des pouvoirs publics allemands.
Il est remarquable que six des huit entreprises d'IA les mieux valorisées dans le monde soient basés aux États-Unis, mais deux, qui ne sont pas américaines pour le moment, Mistral (France) comme Cohere (Canada) sont maintenant dans ce classement. Les jeux ne sont peut-être pas faits.
Mistral AI atteint un sommet inédit pour l’Europe, mais ses homologues américains sont nettement plus nombreux, plus anciens et, dans plusieurs cas, plus de cinq à six fois plus valorisés et pour le moment Mistral reste en retrait vis-à-vis des géants chinois de l’IA, tant en termes de valorisation que de puissance de marché et d’accès aux capitaux. Mais la percée est remarquable car les objectifs de l'association avec ASML sont originaux.
L’écosystème américain bénéficie d’un accès massif aux capitaux-risque, d’un marché domestique homogène immense, d’une avance historique en recherche (notamment via les grandes universités et la Silicon Valley) et d’un effet d’entraînement par ses big tech.
Une étude de mai 2025 de Spherical Insights, indique que les investissements des pays dans l'IA placent en tête les Etats Unis (470,9 md$) et la Chine (119,3 md$), devant le Royaume Uni (28,2 md$), le Canada (15,3 md$), Israël (15 md$), l'Allemagne (11,3 md$), l'Inde (11,1 md$), la France (9 md$), la Corée du sud (7,3 md$) et Singapour (7,3 md$). On note que la Russie ne figure pas dans ce classement des 10 pays qui investissent le plus dans l'IA.
Si l’on considère uniquement les startups indépendantes, la valorisation de Mistral AI surpasse actuellement en septembre 2025 celle des licornes IA privées chinoises les plus récentes — mais les conglomérats comme Baidu ou ByteDance opèrent dans une tout autre dimension capitalistique. En plus, l’écosystème chinois dispose d’une dynamique d’innovation, d’investissements et de politique industrielle incomparable à l’Europe et tend à réduire très vite l’écart avec les États-Unis.
Oui, les protectionnismes américain et chinois jouent un rôle central et structurant dans la compétition mondiale autour de l’intelligence artificielle.
Les mesures protectionnistes comprennent : droits de douane, restrictions sur la vente de composants (notamment les puces IA avancées), promotion d’un "cloud souverain" et incitations à la relocalisation d’infrastructures critiques aux États-Unis.
Ils cherchent aussi à créer des dépendances technologiques chez leurs alliés pour limiter la pénétration des technologies chinoises, tout en se maintenant comme pôle d’attractivité mondial pour les talents IA.
Selon The Economist, en Chine grâce à une électricité bon marché et une propagande nationale sur les avantages de l'IA, le parti communiste pousse à ce que la technologie soit utilisée aussi rapidement et largement que possible. Se contenter d'arriver juste derrière l'Amérique est perçu comme un pari commercial judicieux.
La Chine applique de longue date un protectionnisme élevé sur les données, l’accès au marché local et les composants stratégiques, tout en finançant massivement son écosystème IA national pour viser l’autosuffisance technologique et la suprématie mondiale dans certains secteurs d’ici 2030. Les grandes plateformes chinoises sont fermées aux acteurs étrangers, et l’accès aux données est strictement contrôlé.
En Europe pour encourager d'autres acteurs privés à investir, les startups veulent que les pouvoirs publiques dé-risquent les investissements privés frileux en investissant eux-mêmes. Une logique absente aux Etats Unis où des risques très importants sont pris directement par les investisseurs, capital-risque et autres. Pour ce qui est de la participation de l'Etat américain, une société de capital-risque du gouvernement, IN-Q-TEL se concentre sur des startups dans les domaines de la sécurité et la défense et reste un acteur beaucoup plus petit que les VCs traditionnels comme Sequoia Capital, A16z etc… C’est un fond stratégique à but non lucratif, financé par la CIA et d’autres agences de renseignement, pour acquérir des technologies critiques. La DARPA, agence de l'Etat, finance, elle, des activités de R&D de rupture.
Le décollage international de sociétés françaises du numérique s'est produit par leur installation aux USA. Elles ont ensuite levé directement des fonds sur place puis pour certaines par des introductions en bourse. Ces sommes très importantes leur ont permis de compter sur la scène américaine, puis dans le monde. On peut noter que la part de leur financement européen se dilue avec le temps au point qu'on peut considérer ces sociétés comme des entreprises américaines. D'ailleurs aujourd'hui, si des sociétés IA natives Européennes deviennent intéressantes, elles recevront des financements américains ou elles seront achetées par eux.
Une caractéristique notable : la plupart des startups françaises qui réussissent aux États-Unis ne sont pas devenues “leaders européens” avant d’y aller. Leur stratégie a plutôt été de faire de croissance dans le pays puis de basculer rapidement vers l’international via les Etats-Unis principalement.
Elles s'attaquent aux clients entreprise et la plupart des success stories françaises aux États-Unis dans le numérique concernent des sociétés B2B (Dataiku, Contentsquare, Mirakl, Exotec, Opendatasoft, etc.).
Cela s’explique par plusieurs facteurs. Le marché grand public américain B2C est ultra-concurrentiel (face aux GAFAM, aux géants du e-commerce, aux plateformes sociales). Les coûts marketing d’acquisition de clients y sont énormes et les investisseurs orientent souvent les startups étrangères vers le B2B, perçu comme plus scalable et rentable à l’international. Le marché B2B américain est immense et très demandeur en solutions innovantes, ce qui explique pourquoi ces sociétés françaises y ont trouvé un terrain de jeu fertile.
Les Big Tech américaines, elles, ont d’abord conquis le grand public, un marché vaste et viral grâce à internet et au mobile. Pour gérer ces centaines de millions d’utilisateurs, elles ont bâti des infrastructures colossales, devenues la base de leur domination mondiale, y compris en IA. Elles ont ensuite étendu leurs activités vers les entreprises notamment avec le cloud computing. Rien de semblable en Europe.
Les sociétés françaises d'IA vont souvent adopter une stratégie de passage à l'échelle rapide aux Etats-Unis, sans attendre de dominer l’Europe. La clef pour croitre c'est notamment le passage par Wall Street plutôt que par Euronext.
Dans le cas spécifique de l'IA et bientôt des robots industriels, il ne s'agit pas seulement de favoriser la création de startups, de TPEs et PMEs du numérique et de créer de l'emploi.
Et chaque pays membre veut jouer sa carte avec les entreprises de son terroir ce qui fragmente les efforts et suscite un saupoudrage des investissements. Et les politiciens s'emparent volontiers des sujets technologiques à la mode comme l'IA. Le risque est de privilégier des actions superficielles plutôt que le fond par le biais de grands évènements de prestiges et d'effets d'annonces sans suite. Quand le contenant dépasse le contenu…
Malgré ses atouts comme des centres de recherche d'excellence (comme l'Inria en France ou le Max Planck en Allemagne), une réglementation avancée (comme le futur AI Act) et un grand nombre de talents, ces atouts ne se traduisent pas par la création de géants de l'IA capables de rivaliser à l'échelle mondiale avec leurs homologues américains ou chinois.
Les startups européennes de l'IA, même les plus prometteuses, peinent à atteindre une taille critique. Elles sont souvent co-financées ou rachetées prématurément par des entreprises américaines avant d'avoir pu devenir de véritables compétitrices sur le marché mondial. Ce qui laisse l'Europe avec un écosystème de startups dynamique mais potentiellement fragile, et peu d'acteurs de taille suffisante pour influencer le développement de l'IA. L'Europe se retrouve être un simple marché, et non une puissance d'innovation décisive dans le domaine malgré les effets d'annonces multiples par les gouvernements.
Conclusion
Le partage du monde de l'IA même sans un Yalta formel est de facto la réalité. Sans un essoufflement des investissements aux USA dans l'IA, les jeux sont faits si l'UE cherche à se hisser au niveau des USA.
Les modèles de base (GPT, Claude, Gemini, Baidu Ernie) resteront dominés par les USA et la Chine.
L’Europe pourra créer des applications verticales (santé, industrie, défense, finance régulée) où ses contraintes et sa régulation deviendront des avantages compétitifs. Et la connaissance pointue des besoins spécifiques dans chaque pays reste un avantage déjà exploité par les ESN.
Il reste que Europe ne sera pas un leader mondial des grands modèles d'IA car il y a trop de retard en capital et en puissance de calcul du fait des investissements très inférieurs a ceux des américains et des chinois. La coordination prend aussi trop de temps entre l'EU et les Etats.
Les succès du passé comme Airbus, Galileo s'appuyaient sur des entreprises matures et déjà puissantes dans le domaine. Pas sur des acteurs nouveaux venus ou à venir.
Si on mesure l'avenir de l'Europe dans l'IA dans sa capacité à être au niveau des Etats Unis, on fait fausse route.
L'Europe dispose de solides fondations, mais doit surmonter la lourde bureaucratie des pouvoirs publiques, l'intervention des politiciens, le difficile défi du financement et de la conservation de ses talents pour éviter de devenir un marché pour les Big IA étrangers.
L'IA européenne a son avenir propre. Pas à la taille des américains.
On l'a vu, l’aide de l'Etat à la création de centaines de "startups" -souvent de simples TPEs - est certes utile pour l'emploi mais ne crée pas de géants mondiaux.
Plutôt que planifier des champions artificiels, les pouvoirs publics gagneraient à réduire leurs interventions inefficaces et couteuses auprès des acteurs du marché en transférant leurs efforts sur des commandes stratégiques des Etats et sur la recherche en rupture, notamment via la défense, qui est capable de lancer des défis audacieux et pragmatiques. Cela marche déjà et peut se développer.
Les percées décisives en IA ne naîtront pas dans les bureaux des ministères, mais dans les ateliers d’inventeurs passionnés — ces “mercenaires missionnaires” encore dans l’ombre. Tant que l’État prétendra guider l’innovation à coups de subventions, l’Europe restera spectatrice. Libérons ces esprits, au lieu de les étouffer sous les aides. Et laissons l’innovation suivre sa propre logique si on veut que des géants de la tech émergent en Europe.
Et la souveraineté technologique ne se décrète pas. Elle se construit par le risque et la confiance dans l’initiative privée.
Comme aurait dit Turgot, "laisser faire, laisser réussir".
Georges Nahon
Octobre 2025
Le partage actuel du monde de l’IA n’a pas été décrété par un traité mondial.
Mais le marché mondial de l'IA se structure de telle façon que les Etats-Unis dominent massivement devant la Chine et l'Europe est loin derrière les deux leaders.
Ce qui se passe dans le développement de l'IA est analogue au développement du numérique post-Internet : les Etats Unis dominent et ne cessent d'augmenter leur avance. Dans l'IA, l'Europe s'adapte et consomme majoritairement les produits et services numériques américains et un peu chinois.
La question est de savoir si cela peut changer, mieux et plus vite que cela a été le cas dans d'autres domaines du numériques comme la micro-informatique, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, le cloud, les circuits intégrés.
C'est peut-être la mauvaise question.
Et peut-être que comme pour l'informatique, l'Europe va développer son modèle avec un écosystème robuste d'ESN -autrefois les SSII - qui créent de la valeur au-dessus et à côté des technologies numériques américaines. L'exception est SAP, seule BigTech native Européenne qui est aussi un géant américain.
L'encéphalogramme de Europe dans l'IA n'est pas exactement plat : le cas de Mistral IA
En Europe, les régulations et les interventions publiques, si elles traduisent une volonté de responsabilité et de souveraineté, risquent aussi de freiner l’innovation. Tout l’enjeu est de trouver un équilibre entre cadre protecteur et capacité à concurrencer à armes égales sur la scène mondiale. Et surtout de ne pas règlementer le développement des produits mais l'utilisation des produits eux-mêmes.La conjoncture protectionniste aux États-Unis et en Chine, qui favorise leurs écosystèmes nationaux, limite l’expression d’une véritable concurrence mondiale par le marché.
Il est possible que les entreprises d'IA en Europe trouvent leurs propres modèles de développement sans interférence des pouvoirs publiques et des réglementations.
C'est ainsi par exemple qu'en septembre 2025, la startup française Mistral AI a surpris les marchés en atteignant une valorisation record de 11,7 milliards d’euros (soit environ 14 milliards de dollars) suite à un investissement majeur mené par ASML, leader mondial néerlandais qui conçoit et fabrique des machines sophistiquées pour la fabrication des puces. Cette levée de fonds de 1,7 milliard d’euros fait de Mistral l’entreprise d’intelligence artificielle indépendante la plus valorisée en Europe, avec ASML qui détient désormais 11 % du capital. Ses actionnaires sont notamment Bpifrance, Andreessen Horowitz, General Catalyst, Index Ventres, Lightspeed ventures NVIDIA, CMA CGM (la compagnie maritime française), Salesforce, Databricks, BNP Paribas, Samsung, NJJ Capital, de Xavier Niel… On note que la présence américaine à son tour de table est importante.
Les autres acteurs reconnus en Europe, tels que l’allemand Aleph Alpha ou le britannique DeepMind (filiale de Google), restent très loin de ce niveau de valorisation, tout comme DeepL, Synthesia ou Lovable qui oscillent autour d’1 à 2 milliards de dollars et ne rivalisent pas avec Mistral.
Les raisons de l'association de Mistral avec ASML échappent aux pouvoirs publics et à l'UE.
La structure de l'actionnariat de Mistral est originale de même que les raisons premières de son alliance capitalistique et commerciale avec ASML qui est une société cotée en bourse avec un fort actionnariat américain contrairement à Mistral qui n'est pas cotée pour le moment. En effet l'UE et les pays concernés, France et Pays -Bas, n'apparaissent pas du tout au premier plan même si Bpifrance est un actionnaire minoritaire de Mistral dès 2023 et représente l'Etat français. Dans un entretien avec le Financial Times, Arthur Mensch, le directeur général de Mistral, a déclaré que cette affaire s'est conclue pour des raisons à la fois économiques et stratégiques : "il est important pour les entreprises européennes de ne pas être trop dépendantes de la technologie américaine". Cependant, les PDG des deux entreprises ont minimisé l'idée que ce rapprochement ait été motivé par le désir de renforcer la souveraineté technologique européenne. Le PDG d'ASML Christophe Fouquet, lui aussi ingénieur comme Arthur Mensch, a insisté sur le fait qu'il n'avait pas "choisi Mistral simplement parce qu'ils étaient européens". La souveraineté était un "avantage supplémentaire"..."Nous ne prenons pas de décisions de partenariat en fonction du lieu ou de la géopolitique", et la décision d'investir une somme aussi importante dans Mistral, pour en devenir le plus grand actionnaire, reflétait une conviction que l'IA sera une "technologie stratégique".
Loin devant l'Europe, les investissements dans l'IA sont colossaux aux Etats-Unis et en Chine,
Et ils augmentent notamment pour la création de datacenters géants. La scène de l’IA aux États-Unis surpasse largement celle de l’Europe en termes de valorisation, de volume d’investissement et de nombre d’acteurs majeurs.En Chine les ordres de grandeur sont aussi très importants et dépassent largement les équivalents en Europe. Le modèle est différent avec un dirigisme économique total et un protectionnisme paralysant pour les étrangers.
Le total des investissements privés et publics en IA est près de dix fois supérieur aux États-Unis par rapport à l’Europe selon les dernières estimations 2025
En quelques jours, Nvidia a annoncé un investissement de 100 milliards de dollars dans OpenAI pour des datacenters IA, et Oracle prévoit 300 milliards de dollars sur cinq ans pour le même objectif.En 2025, les investissements américains dans l'IA dépassent de presque dix fois ceux de l’UE. Outre-Atlantique, les levées de fonds de plusieurs milliards y sont routinières, et en Europe exceptionnelles.
Il y a une asymétrie des financements : outre-Atlantique, les tours de table pharaoniques de plusieurs milliards de dollars sont devenus monnaie courante - à l'image des levées spectaculaires d'OpenAI ou d'Anthropic - tandis qu'en Europe, des opérations de telles envergures n'existent pas (encore ?) ou demeurent l'exception, malgré les performances notables d'acteurs comme Mistral AI qui parviennent à attirer des capitaux conséquents mais surtout américains. Dans le cas spécifique de l'IA, la croissance immense des investissements pourrait aussi ralentir ou s'arrêter. Des pessimistes lancent des alertes sur les risques d'éclatement de ce qu'ils considèrent une bulle spéculative de l'IA comparable à celle des dotcoms au début de l'internet. Mais contrairement aux dotcoms il y a un très petit nombre d'introductions en bourse de sociétés "IA natives" ce qui réduit ce risque de bulle aux investisseurs comme le capital-risque mais concerne moins les investisseurs privés et les spéculateurs individuels.
Valorisation des entreprises d'IA aux Etats Unis : différence d’échelle
OpenAI (créateur de ChatGPT) est valorisée à plus de 500 milliards de dollars en octobre 2025, soit près de trente-cinq fois la valorisation de Mistral AI. Environ sept startups IA américaines dépassent la valorisation de 10 milliards de dollars (md$) en 2025 dont OpenAI.
Anthropic a atteint une valorisation d'environ 183 md$ et Databricks est à $ 100 mds$: elles évoluent dans des fourchettes similaires, toutes supérieures à la barre des 10 milliards. Cohere (société canadienne) est valorisée à 6.8 md$. Il y a aussi Scale AI (13,8 md$), CoreWeave (19 md$), xAI d'Elon Musk (50 md$) et Waymo de Google 45 md$.
En 2025, les États-Unis comptent 30 à 40 startups d’IA valorisées au-delà du milliard de dollars, tandis qu’en Europe, seule Mistral et, loin derrière, quelques autres licornes une douzaine plafonnent à 1 ou 2 milliards. Aux Etats Unis il y a des noms moins connus dans l'IA mais dont le poids est significatif : Anduril Industries, Glean, Anysphere, Celestial AI, Shield AI, Harvey, Runway, Abridge, EliseAI, Ambience Healthcare.
De nombreux autres acteurs comme Google DeepMind (intégrée à Alphabet), Microsoft, Meta AI ou Amazon sont des de vrais géants du numérique capitalisés à des niveaux bien au-delà du secteur startup traditionnel mais ne sont pas des sociétés indépendantes dites "IA natives" : elles ont d'autres activités numériques.
A titre de comparaison, SAP la seule BigTech Européenne du numérique mais pas dans l'IA a une capitalisation approximativement 21 fois celle de Mistral AI. Pour l'Europe, SAP est une exception historique : c’est le seul vrai géant européen du logiciel qui ait pu bâtir sa force d’abord en Europe avant de réussir aux USA. SAP est bien l’exemple d’un acteur européen (allemand), le seul, qui ait réussi d’abord en Europe avant de s’imposer aux États-Unis sans soutien particulier des pouvoirs publics allemands.
Il est remarquable que six des huit entreprises d'IA les mieux valorisées dans le monde soient basés aux États-Unis, mais deux, qui ne sont pas américaines pour le moment, Mistral (France) comme Cohere (Canada) sont maintenant dans ce classement. Les jeux ne sont peut-être pas faits.
Mistral AI atteint un sommet inédit pour l’Europe, mais ses homologues américains sont nettement plus nombreux, plus anciens et, dans plusieurs cas, plus de cinq à six fois plus valorisés et pour le moment Mistral reste en retrait vis-à-vis des géants chinois de l’IA, tant en termes de valorisation que de puissance de marché et d’accès aux capitaux. Mais la percée est remarquable car les objectifs de l'association avec ASML sont originaux.
Dynamique d’écosystème aux Etats-Unis
L’écosystème américain bénéficie d’un accès massif aux capitaux-risque, d’un marché domestique homogène immense, d’une avance historique en recherche (notamment via les grandes universités et la Silicon Valley) et d’un effet d’entraînement par ses big tech.Une étude de mai 2025 de Spherical Insights, indique que les investissements des pays dans l'IA placent en tête les Etats Unis (470,9 md$) et la Chine (119,3 md$), devant le Royaume Uni (28,2 md$), le Canada (15,3 md$), Israël (15 md$), l'Allemagne (11,3 md$), l'Inde (11,1 md$), la France (9 md$), la Corée du sud (7,3 md$) et Singapour (7,3 md$). On note que la Russie ne figure pas dans ce classement des 10 pays qui investissent le plus dans l'IA.
L'hégémonie américaine sur l'infrastructure et la puissance de calcul
Les États-Unis exercent une mainmise quasi-totale sur les ressources informatiques mondiales dévolues à l'IA grâce à leurs mastodontes du cloud computing et leurs leaders des semiconducteurs comme Nvidia et AMD. D'après des données de septembre 2025, cette suprématie se traduit par une concentration de près de 75 % de la puissance de calcul planétaire, reléguant l'Europe à moins de 5 % de cette capacité stratégique. Ce déséquilibre infrastructurel matérialise concrètement le fossé des investissements entre les deux rives de l'Atlantique.Les leaders de l'IA en Chine
Baidu, Tencent, Alibaba, et ByteDance sont tous des acteurs majeurs ayant internalisé des divisions IA de plusieurs milliards de dollars, exploitant des LLMs (Wenxin/ERNIE Bot, Tongyi Qianwen, etc.) et divers écosystèmes d’applications. Et des startups chinoises “pure player” comme Baichuan, Zhipu AI ou Fourth Paradigm ont toutes levé des fonds à des valorisations comprises entre 2 et 6 milliards de dollars d’après les dernières levées 2025 — aucune cependant ne surpasse encore Mistral AI en valorisation indépendante, mais l’écart se réduit rapidement.Poids du secteur public et investissement en Chine
Les investissements dans l’IA en Chine se chiffrent à plus de 119 milliards de dollars en 2025, avec une forte implication des fonds publics nationaux et locaux, bien supérieure à celle de l’Europe selon Spherical Insights. De nombreux champions chinois bénéficient d’un appui massif de l’État et d’un marché intérieur gigantesque, ce qui accélère leur croissance, leur adoption et leur valorisation.Si l’on considère uniquement les startups indépendantes, la valorisation de Mistral AI surpasse actuellement en septembre 2025 celle des licornes IA privées chinoises les plus récentes — mais les conglomérats comme Baidu ou ByteDance opèrent dans une tout autre dimension capitalistique. En plus, l’écosystème chinois dispose d’une dynamique d’innovation, d’investissements et de politique industrielle incomparable à l’Europe et tend à réduire très vite l’écart avec les États-Unis.
Oui, les protectionnismes américain et chinois jouent un rôle central et structurant dans la compétition mondiale autour de l’intelligence artificielle.
Part des Protectionnismes américain et chinois dans l'IA
L’administration américaine a adopté un "America’s AI Action Plan" dévoilé en juillet 2025 très offensif qui vise explicitement à soutenir l’innovation nationale, restreindre certaines exportations technologiques clés (notamment vers la Chine), favoriser l’investissement massif dans l’IA et aligner la réglementation sur les intérêts stratégiques américain. Le plan inclut la levée des obstacles réglementaires perçus comme des freins à l’innovation, la création de conditions fiscales/pratiques ultra-favorables pour les entrepreneurs nationaux, et la volonté de dominer les standards, marchés et technologies de l’IA à l’échelle internationale.Les mesures protectionnistes comprennent : droits de douane, restrictions sur la vente de composants (notamment les puces IA avancées), promotion d’un "cloud souverain" et incitations à la relocalisation d’infrastructures critiques aux États-Unis.
Ils cherchent aussi à créer des dépendances technologiques chez leurs alliés pour limiter la pénétration des technologies chinoises, tout en se maintenant comme pôle d’attractivité mondial pour les talents IA.
Selon The Economist, en Chine grâce à une électricité bon marché et une propagande nationale sur les avantages de l'IA, le parti communiste pousse à ce que la technologie soit utilisée aussi rapidement et largement que possible. Se contenter d'arriver juste derrière l'Amérique est perçu comme un pari commercial judicieux.
La Chine applique de longue date un protectionnisme élevé sur les données, l’accès au marché local et les composants stratégiques, tout en finançant massivement son écosystème IA national pour viser l’autosuffisance technologique et la suprématie mondiale dans certains secteurs d’ici 2030. Les grandes plateformes chinoises sont fermées aux acteurs étrangers, et l’accès aux données est strictement contrôlé.
En Europe les sociétés d'IA vont grandir et réussir … en s'installant aux Etats-Unis
Comme on l'a vu dans le passé avec la réussite de certaines sociétés françaises de numérique, - on pense à Talend, Criteo, Datadog (créée aux Etats-Uns directement), Dataiku, Front- elles ont presque toutes bénéficié d'investissements publiques en France au départ ou de crédits de R&D.En Europe pour encourager d'autres acteurs privés à investir, les startups veulent que les pouvoirs publiques dé-risquent les investissements privés frileux en investissant eux-mêmes. Une logique absente aux Etats Unis où des risques très importants sont pris directement par les investisseurs, capital-risque et autres. Pour ce qui est de la participation de l'Etat américain, une société de capital-risque du gouvernement, IN-Q-TEL se concentre sur des startups dans les domaines de la sécurité et la défense et reste un acteur beaucoup plus petit que les VCs traditionnels comme Sequoia Capital, A16z etc… C’est un fond stratégique à but non lucratif, financé par la CIA et d’autres agences de renseignement, pour acquérir des technologies critiques. La DARPA, agence de l'Etat, finance, elle, des activités de R&D de rupture.
Le décollage international de sociétés françaises du numérique s'est produit par leur installation aux USA. Elles ont ensuite levé directement des fonds sur place puis pour certaines par des introductions en bourse. Ces sommes très importantes leur ont permis de compter sur la scène américaine, puis dans le monde. On peut noter que la part de leur financement européen se dilue avec le temps au point qu'on peut considérer ces sociétés comme des entreprises américaines. D'ailleurs aujourd'hui, si des sociétés IA natives Européennes deviennent intéressantes, elles recevront des financements américains ou elles seront achetées par eux.
Une caractéristique notable : la plupart des startups françaises qui réussissent aux États-Unis ne sont pas devenues “leaders européens” avant d’y aller. Leur stratégie a plutôt été de faire de croissance dans le pays puis de basculer rapidement vers l’international via les Etats-Unis principalement.
Les startups européennes du numérique sont dans le B2B
Une autre caractéristique est le fait que ces entreprises soient nativement B2B c'est à dire qu'elles conçoivent et commercialisent des produits pour entreprises et pas du tout pour le grand public.Elles s'attaquent aux clients entreprise et la plupart des success stories françaises aux États-Unis dans le numérique concernent des sociétés B2B (Dataiku, Contentsquare, Mirakl, Exotec, Opendatasoft, etc.).
Cela s’explique par plusieurs facteurs. Le marché grand public américain B2C est ultra-concurrentiel (face aux GAFAM, aux géants du e-commerce, aux plateformes sociales). Les coûts marketing d’acquisition de clients y sont énormes et les investisseurs orientent souvent les startups étrangères vers le B2B, perçu comme plus scalable et rentable à l’international. Le marché B2B américain est immense et très demandeur en solutions innovantes, ce qui explique pourquoi ces sociétés françaises y ont trouvé un terrain de jeu fertile.
Les Big Tech américaines, elles, ont d’abord conquis le grand public, un marché vaste et viral grâce à internet et au mobile. Pour gérer ces centaines de millions d’utilisateurs, elles ont bâti des infrastructures colossales, devenues la base de leur domination mondiale, y compris en IA. Elles ont ensuite étendu leurs activités vers les entreprises notamment avec le cloud computing. Rien de semblable en Europe.
Les sociétés françaises d'IA vont souvent adopter une stratégie de passage à l'échelle rapide aux Etats-Unis, sans attendre de dominer l’Europe. La clef pour croitre c'est notamment le passage par Wall Street plutôt que par Euronext.
L'interventionnisme des pouvoirs publiques en Europe ne réussit ni dans le numérique ni dans l'IA
Si l'objectif reste d'être au niveau des acteurs américains, ce rôle doit être revisité à la lumière du manque endémique de créations d'acteurs de la taille des bigtech américaines dans le numérique et dans l'IA/Dans le cas spécifique de l'IA et bientôt des robots industriels, il ne s'agit pas seulement de favoriser la création de startups, de TPEs et PMEs du numérique et de créer de l'emploi.
Et chaque pays membre veut jouer sa carte avec les entreprises de son terroir ce qui fragmente les efforts et suscite un saupoudrage des investissements. Et les politiciens s'emparent volontiers des sujets technologiques à la mode comme l'IA. Le risque est de privilégier des actions superficielles plutôt que le fond par le biais de grands évènements de prestiges et d'effets d'annonces sans suite. Quand le contenant dépasse le contenu…
Malgré ses atouts comme des centres de recherche d'excellence (comme l'Inria en France ou le Max Planck en Allemagne), une réglementation avancée (comme le futur AI Act) et un grand nombre de talents, ces atouts ne se traduisent pas par la création de géants de l'IA capables de rivaliser à l'échelle mondiale avec leurs homologues américains ou chinois.
Les startups européennes de l'IA, même les plus prometteuses, peinent à atteindre une taille critique. Elles sont souvent co-financées ou rachetées prématurément par des entreprises américaines avant d'avoir pu devenir de véritables compétitrices sur le marché mondial. Ce qui laisse l'Europe avec un écosystème de startups dynamique mais potentiellement fragile, et peu d'acteurs de taille suffisante pour influencer le développement de l'IA. L'Europe se retrouve être un simple marché, et non une puissance d'innovation décisive dans le domaine malgré les effets d'annonces multiples par les gouvernements.
Conclusion
Le partage du monde de l'IA même sans un Yalta formel est de facto la réalité. Sans un essoufflement des investissements aux USA dans l'IA, les jeux sont faits si l'UE cherche à se hisser au niveau des USA.
Les modèles de base (GPT, Claude, Gemini, Baidu Ernie) resteront dominés par les USA et la Chine.
L’Europe pourra créer des applications verticales (santé, industrie, défense, finance régulée) où ses contraintes et sa régulation deviendront des avantages compétitifs. Et la connaissance pointue des besoins spécifiques dans chaque pays reste un avantage déjà exploité par les ESN.
Il reste que Europe ne sera pas un leader mondial des grands modèles d'IA car il y a trop de retard en capital et en puissance de calcul du fait des investissements très inférieurs a ceux des américains et des chinois. La coordination prend aussi trop de temps entre l'EU et les Etats.
Les succès du passé comme Airbus, Galileo s'appuyaient sur des entreprises matures et déjà puissantes dans le domaine. Pas sur des acteurs nouveaux venus ou à venir.
Si on mesure l'avenir de l'Europe dans l'IA dans sa capacité à être au niveau des Etats Unis, on fait fausse route.
L'Europe dispose de solides fondations, mais doit surmonter la lourde bureaucratie des pouvoirs publiques, l'intervention des politiciens, le difficile défi du financement et de la conservation de ses talents pour éviter de devenir un marché pour les Big IA étrangers.
L'IA européenne a son avenir propre. Pas à la taille des américains.
On l'a vu, l’aide de l'Etat à la création de centaines de "startups" -souvent de simples TPEs - est certes utile pour l'emploi mais ne crée pas de géants mondiaux.
Plutôt que planifier des champions artificiels, les pouvoirs publics gagneraient à réduire leurs interventions inefficaces et couteuses auprès des acteurs du marché en transférant leurs efforts sur des commandes stratégiques des Etats et sur la recherche en rupture, notamment via la défense, qui est capable de lancer des défis audacieux et pragmatiques. Cela marche déjà et peut se développer.
Les percées décisives en IA ne naîtront pas dans les bureaux des ministères, mais dans les ateliers d’inventeurs passionnés — ces “mercenaires missionnaires” encore dans l’ombre. Tant que l’État prétendra guider l’innovation à coups de subventions, l’Europe restera spectatrice. Libérons ces esprits, au lieu de les étouffer sous les aides. Et laissons l’innovation suivre sa propre logique si on veut que des géants de la tech émergent en Europe.
Et la souveraineté technologique ne se décrète pas. Elle se construit par le risque et la confiance dans l’initiative privée.
Comme aurait dit Turgot, "laisser faire, laisser réussir".
Georges Nahon
Octobre 2025
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