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L'Intelligence Artificielle Générative face à l'enthousiasme et au scepticisme des investisseurs
par Georges Nahon

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Au deuxième trimestre, les investissements mondiaux de capital-risque ont chuté de 13% par rapport au précédent trimestre, leur niveau le plus bas depuis le deuxième trimestre 2020. Et les financements pour les startups aux USA chutent à 31,3 milliards de dollars, soit une baisse de 27% par rapport au précédent trimestre, selon CB Insights.

Pourtant, cet été, les investissements dans l'Intelligence Artificielle (IA) ont bondi. Le financement mondial de l'IA a augmenté de 81 %, avec 7 licornes IA, dont 5 en Intelligence Artificielle Générative (IAG). L'IA a récolté 25 milliards de dollars au 1er semestre 2023 dont les 10 milliards investis par Microsoft dans OpenAI le concepteur de ChatGPT.

L'optimisme semble régner. Les startups ont fleuri, propulsant l'IAG popularisée par ChatGPT. Souvent créées par des anciens des BigTech elles ont annoncé de nouveaux produits très innovants dans un laps de temps très court. Les Bigtech rattrapent leur retard dans l'IAG et lancent en très peu de temps en logiciel libre de puissants produits dont les grands modèles de langages (LLMs), le moteur de l'IAG. Google par exemple a annoncé son nouveau produit Gemini après les annonces par Meta de Llama son LLM et son outil de développement de code IA, Code Llama. Nvidia a annoncé sa super puce pour l'IAG, le GH 200 Grace Hopper pour 2024 et a annoncé des résultats financiers en forte hausse.

Les entreprises investissent pour augmenter leurs revenus et leur efficacité grâce à l'IA, selon une enquête Fortune/Deloitte. Plus de la moitié (55 %) évaluent et expérimentent avec l'IAG. 79 % estime que l'IAG augmentera leur efficacité, et la moitié (52 %) estime qu'elle augmentera leurs opportunités de croissance. Plus d'un tiers (37 %) met actuellement en œuvre l'IAG dans une certaine mesure.

Cependant, lors de la présentation de leurs résultats financiers, près de 40 % des entreprises de l'indice S&P 500 ont mentionné l'IA alors que 16 % la mentionne dans leurs rapports financiers réglementaires : son impact resterait donc limité pour la majorité des entreprises selon le Financial Times. Malgré l'engouement ambiant et la perception d'une certaine urgence, il faudra plus de temps qu'on ne le voudrait et une démarche systématique au-delà des quick wins pour que l'adoption en entreprise soit substantielle. Mais pas autant qu'on puisse le redouter car tout va extrêmement vite dans le domaine.

L'été 2023 a vu émerger des opinions pessimistes et critiques, parlant de "Générative IA-nxiété" (dans Harvard Business Review). Des doutes subsistent aussi sur la capacité de la Silicon Valley de produire "the next big thing", la prochaine innovation en rupture, en raison de déceptions antérieures récentes avec le métavers et les cryptos. 

Les résultats financiers du 2e trimestre ont d'ailleurs montré que l'IAG n'avait pas encore d'impact clair, sauf pour Nvidia qui profite de sa grande avance technologique et d'une énorme pénurie de puces IA qui fait monter les prix face à une demande très importante dans le monde.

Cependant, OpenAI serait en bonne voie pour générer 1 milliard de dollars de revenus au cours de l'année à venir. OpenAI générait actuellement environ 80 millions de dollars par mois contre sa perte de 540 millions de dollars de l'année dernière. OpenAI a lancé pendant l'été ChatGPT Enterprise une version professionnelle de ChatGPT qui devrait contribuer à l'essor du chiffre d'affaire sachant que OpenAI a observé l'adoption de ChatGPT basique dans plus de 80% des entreprises de l'indice Fortune des 500 plus grandes entreprises US.

Il y a d'autres préoccupations. L'incertitude réglementaire sur l'IA inquiète les investisseurs.

Également, les données de qualité sont cruciales pour entrainer les IAG. Et la nouvelle exigence par les ayants droit d'être rémunérés pour leurs données puisées gratuitement sur Internet par les créateurs de LLMs déstabilise ceux-ci. Le New York Times envisage de poursuivre OpenAI/ChatGPT.

Par ailleurs, la baisse du trafic sur ChatGPT soulève des questions sur la durabilité de sa popularité. En juin, la baisse de trafic de 9,7 %, puis de 9,6 % en juillet, et de 3,2% en août est peut-être liée aux vacances scolaires et à l'activité estivale réduite.

Les discours dystopiques sur l'IA destructeur de l'humanité continuent de gagner des partisans, alourdissant ainsi le climat.

Les valorisations de startups liées à l'IA comme Upstart, C3.ai Inc, Palantir, Datadog et Snowflake, avaient beaucoup cru mais elles sont bien retombées. Cette volatilité inquiète les investisseurs à la rentrée.

Pour compliquer les choses, les investisseurs du capital-risque aux États-Unis sont ambivalents sur l'IAG. Une partie cherche quels modèles d'affaires l'IAG pourrait déstabiliser, afin d'investir dans des startups qui auraient la réponse. Ils se demandent aussi qui, dans le paysage actuel, va gagner et ils hésitent dans l'attente. Car pour le moment les incombants des BigTech tiennent le marché qui présente un ticket d'entrée très élevé pour les autres. Aux USA, elles seules ont tiré les marchés financiers vers le haut, alors qu'aucun acteur "pur IAG" n'a encore fait son entrée en bourse (IPO) malgré la reprise dans ce domaine. Celle du fabricant de puces ARM a été un grand succès en ayant atteint une valeur de $54 billion ce qui en a fait la plus grosse IPO depuis 2021 quand la société Rivian qui fabrique des camions électriques avait fait la sienne. Le cours de l'action ARM avait progressé de 25% dans la séance d'introduction pour terminer à 63.59 $ le jour de l'IPO. ARM est controlée par le conglomérat japonais Softbank qui avait acquis ARM en 2016.

La puissance de calcul des gros acteurs du cloud les favorise. Idem pour les entreprises disposant de données uniques protégées. L'arrivée de petits LLMs et de logiciels libres ou "pseudo libres" dans l'IAG peut faciliter l'essor de nouveaux acteurs mais leurs produits ("fonctionnalités" disent leurs détracteurs) dépendent souvent des LLMs des BigTech. Cela inquiète les investisseurs qui soulignent l'absence de "douves" suffisamment défensives chez ces startups de l'IA.

Le domaine des puces IA attire de nouveaux concepteurs en concurrence avec le champion Nvidia. Mais la route sera longue vu l'avance de Nvidia, sauf si une inflexion se produit dans la façon d'entrainer les LLMs. Une concurrence vient aussi des géants du cloud avec leurs puces IA propriétaires plus simples qu'ils peuvent combiner avec leurs datacenters pour offrir des solutions moins onéreuses que celles s'appuyant sur Nvidia. Cela peut accélérer l'adoption plus large de l'IAG. Mais la réponse de Nvidia est sa stratégie originale consistant à offrir ses propres services (DGX Cloud) dans le cloud en utilisant ses puces et ses serveurs dans les infrastructures des grands acteurs hyperscalers (Microsoft, Google, et Oracle ont accepté mais pas Amazon AWS.), mais aussi avec des plus petits opérateurs de cloud. Comme ses plus gros clients développent leurs proches puces d'IA concurrentes, Nvidia aide des plus petits fournisseurs de cloud dont les ambitions n’incluent pas le développement de leurs propres puces d’IA. Par exemple Lambda Labs et CoreWeave. La coopétition, concurrence et coopération, régit pour le moment les relations entre Nvidia et les hyperscalers. 

Pour les autres investisseurs, la frénésie autour de l'IAG les pousse à des investissements "suiveurs" moins raisonnés, pour rester dans le jeu, avec le risque de créer une bulle spéculative.

Pour l'instant, peu de sociétés génèrent des profits spécifiquement avec l'IAG. Nvidia est en tête grâce à sa forte domination avec ses puces IA couplées à son logiciel intégré CUDA.

Malgré le nouveau scepticisme estival ambiant, c'est un fait que l'IAG démocratise l'accès à l'IA grâce aux LLMs, facilitant la recherche, la création, et l'analyse de données. 

L'IAG excelle dans l'analyse de données, offrant des informations précieuses aux entreprises. Son impact va au-delà de ses prouesses technologiques.

Il faut s'attendre à des améliorations majeures venant rapidement des BigTech, des startups et labos de recherche pour réduire les imperfections parfois très sérieuses de certains LLMs mises en avant par les Cassandre.

La première vague de startups de IAG peut bien sûr rencontrer des obstacles, mais comme on l'a vu à la naissance d'internet, les suivantes réussissent avec de formidables services et produits inattendus.

N'en déplaise aux pessimistes, comme on le dit dans la Silicon Valley, "cette fois, c'est différent". Car tout va beaucoup plus vite.

Pour l'avenir de l'IAG, le verre est bien plus qu'à moitié plein. Même si le battage autour de l'IAG est un peu retombé, la révolution est en marche.

Georges Nahon
16 septembre 2023